Les débuts de l’Aikido prennent place dans le monde de son fondateur, O Sensei : le Japon des années trente. Dans ce monde, O Sensei, en tant que pratiquant de la Voie du Guerrier, n’était pas sous la direction des autres, il restait fidèle à ses propres convictions, formées à la lumière de ses propres recherches qui, par la suite, inspireront les autres à suivre ses pas. Il a suivi sa voie et nous a donné l’exemple de comment apprendre. Nous nous trouvons à présent dans une société hyper-compétitive, principalement poussée par le désir d’argent, de puissance et de célébrité, trois péchés à éviter pour tout artiste martial.
Les disciples de O Sensei ont continué à développer l’esprit de l’Aikido à leur propre, distincte manière, mais le message reste le même : Centre, contact, commettre, tout en gardant son intégrité (et ne pas la galvauder).
Que l’Aikido puise ses racines dans la philosophie japonaise est un fait que personne ne peut renier. Il prend ses racines parmi de nombreuses cultures de par le monde. Par moment il a été menacé de commercialisation, de l’introduction d’un élément de compétition, ce qui aurait sûrement signifié la fin des valeurs essentielles étayées par son fondateur.
Alors que l’Aikido a grandi en popularité, il est en danger d’être rabaissé par la parade et l’autosatisfaction, qui ne font que nourrir l’ego. Parfois, certains Dojos sont devenus des endroits où les gens se rencontrent, apprennent quelques trucs, brûlent quelques calories et socialisent, à l’instar de ce qui se passe avec les sports conventionnels dans les centres de loisirs.
Dans notre époque moderne, nous avons vu la disparition de certaines valeurs traditionnelles, par exemple celle de la relation maître-élève, basée sur un partage mutuel de connaissance et de travail, et une connexion de cœur à cœur. Le garçon apprenait sous la férule du maître charpentier, du fermier ou de l’artiste, jusqu’à ce qu’il ait assimilé les formes de base, avant d’être prêt à suivre son propre chemin dans le monde. Le rôle de l’apprenti n’était pas facile, et un travail dur était attendu de sa part. En retour il avait l’opportunité d’apprendre du maître, et de «voler» ses secrets. Le système assurait que la connaissance passe d’une génération à l’autre, sans que cela ne reste nécessairement au sein de la famille.
Cette approche de l’enseignement demande une grande dépense en temps de la part de tous ceux qui sont impliqués. Ils doivent agir avec patience, diligence et un esprit curieux (ou mieux: celui d’un débutant). La vie moderne et ses contraintes de temps peuvent décourager ce processus naturel d’enseignement, mais le Dojo est une place où cette tradition doit être préservée.
Des mondes entiers peuvent être créés dans des livres, à la télévision, en films ou dans des jeux vidéo. On peut se plonger dans ces mondes, créant et détruisant, avec le joueur, lecteur ou spectateur ayant un sentiment de puissance et de supériorité qui n’a pas de racines dans la réalité. Ces mondes ne sont pas des expériences complètes et peuvent créer un manque de focalisation et d’aptitude à accroître sa propre culture. Par contraste, les arts martiaux comme l’Aikido, le Batto-Ho, et les disciplines comme le Zazen font face à la réalité telle qu’elle est.
Dans le monde moderne il y a eu une «accoutumance » aux bains de sang et à la douleur: Les infos à la télé montrent une succession de cadavres, sans que le téléspectateur soit réellement engagé dans la souffrance. Dans l’apprentissage d’un art martial, l’individu est plus réellement en contact avec le conflit et ses conséquences.
Dans notre monde actuel, nous avons des gourous en Occident, alors que les Orientaux regardent leur télé: le monde change, et les traditions se perdent. En Aikido, nous essayons de préserver la tradition de notre propre pratique, en particulier cette relation enseignant-élève. Cette transmission de l’enseignement de cœur à cœur fait partie des principes naturels utilisés par O Sensei lorsqu’il établit sa voie.
Les organisations sont devenues un élément nécessaire. Nous en avons besoin afin de partager nos connaissances et de nous polir mutuellement, bien que parfois elles engendrent confusion et inefficacité, car elles sont parfois fondées sur des principes non naturels. Les organisations devraient êtres cultivées suivant des principes naturels, et incorporer à la fois des axes horizontaux et verticaux, autocraties-démocraties, sans compromettre la relation enseignant-élève, ou plutôt maître-apprenti. Nous devons apprendre des anciens et adapter aux jours d’aujourd’hui.
«Être et non-être se créent mutuellement»
«Facile et Difficile se supportent mutuellement »
«Kohai et Sempai se définissent l’un l’autre»
Professeur et élève dépendent l’un de l’autre
«Avant et Aprés se suivent l’un l’autre»
Adapté du Tao Te Ching
Comment l’Aikido doit-il se développer dans le monde moderne? Si nous avions tous des Dojos magnifiques et flambant neufs en un utopique plan d’améliorer la santé des populations, verrions-nous ces dojos mettre leurs élèves sur la voie de la liberté recherchée par tout véritable guerrier, ou bien serait-ce juste une autre forme de domestication? Ces dojos éveilleraient-ils l’esprit de l’Aikido dans leurs élèves? Un Dojo est-il un lieu d’éducation mécanique ou devrait-il faire croître ses guerriers de manière plus organique? Comment nos Dojos modernes peuvent-ils encourager le processus d’apprentissage que les apprentis traditionnels devaient suivre?
L’Aikido a un passé, un présent et un futur. La préservation de la pratique du futur requiert l’application dès maintenant des bases traditionnelles du passé. La lignée de la tradition de O Sensei est préservée grâce à l’entraînement physique et aux formes transmises par notre propre professeur. L’étiquette de l’Aikido est telle que le respect mutuel dans le Dojo doit être reflété dans notre Voie, et le respect mutuel pour tout humain doit faire partie de notre pratique. La plupart admettront qu’une société civilisée est une société dans laquelle on a de la considération pour ses éléments les plus faibles. Cet esprit est également essentiel dans le dojo.
Nous devons tous découvrir l’Aikido par nous-mêmes à travers la pratique. Le chercher dans le «Ici et Maintenant» signifie remplir l’esprit de tradition au lieu de simplement la copier. Comment peut-on rendre hommage au passé en cultivant la valeur martiale dans nos propres coeurs au cours de notre pratique?
«La Voie du guerrier est faite d’humanité, d’amour et de sincérité. Le cœur de la vertu martiale est le vrai courage, la sagesse, l’amour et l’amitié. L’emphase sur les aspects physiques de la voie du Guerrier est futile, car le pouvoir du corps est toujours limité. » – O Sensei.
Chris Mooney Shihan
Traduction Chistophe Peytier